La malédiction de la Momie
Vingt-sept morts suspectes… Après la profanation de sa tombe, en 1922, la «malédiction de Toutankhamon» s’abat sur l’équipe archéologique financée par lord Camarvon. Une légende, tenace, qui résiste mal à l’analyse.
Un cobra ondule silencieux jusqu’au campement des archéologues. Le reptile se glisse dans une tente, se dresse et avale… le canari de Howard Carter! À quelques jours de l’ouverture de la tombe royale, la mort du volatile fétiche d’égyptologue sonne comme un funeste présage pour les terrassiers égyptiens. Depuis la nuit des temps, Uraeus, le cobra femelle, protège le pharaon de ses ennemis. Et des hommes impies s’apprêtent à troubler le repos éternel du roi enfant. Carter et son commanditaire, le comte de Carnarvon, ne tiennent pourtant pas compte de l’avertissement. Le 26 novembre 1922, ils pénètrent dans la sépulture. Howard Carter, dans ses mémoires, raconte la découverte : « D’abord je ne vis rien. L’air chaud qui s’échappait de la chambre faisait clignoter la flamme de la bougie. Puis, à mesure que mes yeux s accoutumaient à l’obscurité, des formes se dessinèrent lentement : d’étranges animaux, des statues, et partout le scintillement de l’or.» À lord Carnarvon et à sa fille lady Herbert qui lui demandent ce qu’il aperçoit, Carter répond : «des merveilles !». Les objets sont empilés par centaines dans la salle : lits funéraires zoomorphes, coffres finement incrustés, vases ajourés, et encore des sièges, des cannes, des chars étincelants… Tout au fond, deux statues du pharaon, postées en sentinelle d’une porte scellée, attirent le regard : la chambre funéraire est intacte! Cette seconde salle est ouverte, le 17 février 1923, à l’arrivée d’invités de marque : Élisabeth, reine des Belges, et son fils Léopold. Au centre de la pièce aux murs couverts de faïence bleu et or, protégée par trois sarcophages, repose la momie de Toutankhamon, inviolée depuis trois millénaires. Les journalistes, accourus au Caire, annoncent la nouvelle de la plus formidable découverte archéologique de tous les temps. Et leur récit passionne, d’autant que, six semaines seulement après l’ouverture du tombeau, lord Carnarvon succombe soudainement à une fièvre maligne.
La presse imagine une mise en garde gravée à l’entrée du tombeau, dont les archéologues n’auraient pas tenu compte : «La mort touchera de ses ailes ceux Profaneront ce lieu. »
La « malédiction de Toutankhamon passionnera les lecteurs pour la décennie à venir. Les journalistes tiennent désormais un compte précis des « disparition mystérieuses » !
Le professeur La Fleur, I un égyptologue canadien, décède en mai. En septembre, c’est au tour du colonel Aubrey Herbert, le propre frère de Carnarvon. L’année suivante, Hugh Evelyn- White, l’un des archéologues du chantier, et Archibald Douglas Reed, le radiologue de la momie, rendent leur dernier soupir.
Et l’on dénombre vingt-sept disparitions, jusqu’à celle de Howard Carter, en 1939… Quelques scientifiques, pourtant sérieux, se commettent à échafauder les théories les plus farfelues… L’huile d’amande douce utilisée pour embaumer la momie s’est transformée en cyanure. Les torches du tombeau de Toutânkhamon étaient imprégnées d’arsenic. Les archéologues ont succombé à des «pneumonies asphyxiantes » provoquées par un virus trois fois millénaire. Pour d’autres, c’est une « moisissure allergène» qui s’est développée sur les vivres enfermés avec le pharaon dans le tombeau. Seulement, les spécialistes sont formels : il n’existe pas de germe ou de champignon capable de résister aussi longtemps dans un lieu clos. Et toutes ces « morts mystérieuses » sont aisément explicables. Lord Carnarvon, de santé fragile, a succombé à une septicémie provoquée par une piqûre de moustique infectée. Le colonel Herbert est mort à Londres des suites d’une opération des dents. Evelyn-White s’est pendu. Et Howard Carter a tout de même survécu douze ans à l’ouverture du tombeau. Que dire d’Elisabeth de Belgique, disparue en 1965 dans sa 89e année, de lady Herbert et du prince Léopold, tous les deux morts dans les années 1980. La «malédiction», finalement, n’aura frappé qu’une seule victime : le malheureux canari de Howard Carter !