À partir du IIIe millénaire av. J.-C., la ville phénicienne de Byblos possédait la flotte la plus puissante de Méditerranée. Elle commerçait avec l’Égypte pour son précieux papyrus.
Ils furent les grands marchands de l’Antiquité : entre 2500 et 500 av. J.-C.,
les Phéniciens naviguèrent inlassablement sur les eaux de la Méditerranée. Leurs navires chargés de richesses venant d’Égypte, d’Asie Mineure, de Grèce, d’Italie, d’Afrique du Nord et de Tartessos sillonnèrent également la mer Egée, la mer Noire et l’océan Atlantique, jusqu’aux îles Canaries et au golfe de Guinée. Ce trafic ininterrompu partait d’un petit nombre de villes prospères jalonnant la côte de la Syrie et du Liban actuels, dont trois s’illustrèrent tout particulièrement.
Cette « triade » de villes phéniciennes domina le commerce en Méditerranée orientale durant de longs siècles : Sidon, ville de la royauté ; Tyr, grande capitale du dieu Melqart, et
Byblos, la plus ancienne de toutes, la ville et importa le fameux papyrus pour le revendre à travers toute la Méditerranée. Située au Liban, à environ 40 kilomètres au nord de Beyrouth,
Byblos, comme d’autres villes phéniciennes, fut érigée sur un promontoire entre deux baies aménagées en ports. Il s’agit sans nul doute de l’une des implantations humaines stables les plus anciennes du Levant, ses origines remontant au moins au VIe millénaire av. J.-C.
À l’origine, elle faisait partie de la région habitée par les
Cananéens, peuple sémite vivant entre la Méditerranée et le fleuve Jourdain. Elle s’appela d’abord et pendant longtemps Goubla (selon les archives d’Amama), Goubal ou Gebal (en
cananéen), la « ville de la Montagne », aujourd’hui Jbeil en arabe. On la disait fondée par la principale divinité
cananéenne, le dieu El. Au début du 3eme millénaire av. J.-C., la ville comptait deux temples monumentaux consacrés à Baalat Gebal, la dame de
Byblos, et à son époux Baal Shemin. Des archéologues y ont d’ailleurs découvert les débris de trois statues colossales consacrées à des divinités sémitiques. De cette époque datent les murailles dont fut entourée la ville. Il semblerait que
Byblos ait été gouvernée par des rois, assistés par une commission d’assesseurs, le Conseil des Anciens.
À partir du IIIe millénaire av. J.-C.,
Byblos devint l’une des implantations commerciales les plus florissantes du Proche-Orient. Sa flotte
- composée de gauloi, bateaux marchands de forme ronde caractéristique, et d’hippoi, navires de transport légers dont la figure de proue représentait un cheval — fut la plus puissante de la Méditerranée. À l’époque, la splendeur de Byblos était due à sa position géographique stratégique, à la confluence des routes marchandes de la Méditerranée, de la côte syro-phénicienne et de l’intérieur de la terre de Canaan, avec l’Anatolie, la Mésopotamie, les côtes de la Méditerranée orientale, ainsi que le littoral africain et la vallée du Nil. Les grands empires du Proche-Orient
- akkadien, hittite, assyrien—virent en Byblos le moyen de se fournir en matières premières très recherchées à l’âge du bronze telles que bois de construction, teintures, encens ou métaux précieux, mais c’est avec l’Égypte des pharaons que Byblos établit un lien très étroit et durable. Ce lien ne se limita pas uniquement aux échanges commerciaux, il inclut parfois une dépendance politique et influença sa culture à long terme et en profondeur.
Résines aromatiques, huiles et vins
Pour l’Égypte,
Byblos était un partenaire commercial d’une importance capitale. Par le biais du comptoir libanais, les Égyptiens se fournissaient en métaux du nord, notamment en étain, achetés dans les mystérieuses îles Cassitérides, peut-être les îles Britanniques, en résines aromatiques, en huiles et en vins. Le bois était une marchandise très précieuse que les Égyptiens se procuraient en Phénicie. La vallée du Nil ne fournissant que du bois de palmier, inexploitable en construction monumentale, il existait une forte demande de bois denses et précieux venant du Liban, en particulier le cèdre, primordiaux pour l’architecture royale égyptienne.
Ces contacts avec
Byblos se retrouvèrent même dans l’un des mythes fondateurs de la religion égyptienne, celui d’Isis et Osiris ; les Égyptiens croyaient en effet que la déesse Isis était allée à
Byblos récupérer une partie du corps d’Osiris, son frère et époux, dépecé par son frère scélérat Seth, avant de rentrer au Double Pays du Nil.
Au cours de sa longue histoire,
Byblos connut bien des vicissitudes. Vers 2300 av. J.-C., elle fut occupée par les Amorrites, un peuple nomade qui s’installa en Syrie, dans la région de Canaan et à l’ouest de l’Euphrate, et remplaça les dynasties
cananéennes sur le trône giblite. L’occupation amorrite favorisa l’expansion de l’influence artistique égyptienne. Les ateliers d’artisanat de
Byblos adoptèrent un style fortement empreint du cachet égyptien, comme le révèlent les statuettes et les ex-voto, les ornements personnels et les bijoux retrouvés par les archéologues, indiquant un commerce et une exportation de grande envergure. Le temple des Obélisques, édifié sur un ancien temple
cananéen, date de cette époque. Vers 1740 av. J.-C., les Hiksos rasèrent certains secteurs de Byblos au cours de leur expansion dominatrice vers l’Égypte. Puis, du xvi* au xiii* siècle av. J.-C., les rois
Byblos durent reconnaître la souveraineté égyptienne, à l’époque où les pharaons de la XVIII’ dynastie, comme Thoutmosis III ou Amenhotep III, dominaient la région dont ils disputaient l’hégémonie aux rois hittites et aux rois du Mitanni. La correspondance diplomatique découverte à Amarna, l’éphémère capitale du pharaon Akhenaton, confirme que les monarques giblites payaient un tribut aux pharaons.
La cité phénicienne du papyrus
Byblos n’allait pas échapper aux invasions des « Peuples de la mer », ces hordes de guerriers venus d’Asie Mineure ou du Danube qui mirent à sac une grande partie de la Méditerranée orientale vers 1200 av. J.-C. Contrairement à d’autres villes phéniciennes qui connurent une longue période de déclin, elle reprit vite son activité commerciale, mais fut rapidement éclipsée par Tyr, le pôle phénicien le plus puissant des premiers siècles du I » millénaire av. J.-C. Dans les livres de la Bible hébraïque, de nombreux Le commerce du bois restait l’un des piliers de la prospérité de
Byblos, notamment l’olivier, le chêne, le cyprès et le pin, mais surtout le cèdre tant prisé car précieux pour l’architecture de l’époque. Les métaux d’Anatolie, ainsi que l’ivoire et l’or africains, faisaient partie du chargement des navires marchands phéniciens.
Les habitants de
Byblos s’étaient aussi forgé une solide réputation de constructeurs navals. C’est ainsi qu’un passage du livre d’Ézéchiel (vi siècle av. J.-C.) décrit un navire phénicien construit en bois de Senir (le mont Hermon, entre Israël, le Liban et la Syrie) et du Liban, avec des voiles égyptiennes et une grand-voile carrée pourpre et écarlate des îles d’Elissa (peut-être la côte orientale de l’ile de Chypre).La composition de l’équipage est fournie : les rameurs viennent de Sidon et Arvad, les timoniers de Tyr, tandis que les « artisans réparant les avaries » sont de
Byblos, allusion sans équivoque à la renommée de constructeurs de bateaux des Giblites.
Cependant, la marchandise la plus étroitement associée à
Byblos, le papyrus, vient d’Egypte. Les Égyptiens avaient développé une Le commerce du bois restait l’un des piliers de la prospérité de
Byblos, notamment l’olivier, le véritable industrie autour de cette plante poussant sur les rives du Nil, avec laquelle étaient fabriquées de fines couches constituant un support parfait pour écrire.
La demande de papyrus crût fortement en Méditerranée orientale où, dès la fin du II’ millénaire av. J.-C., des formes complexes d’écriture se développèrent, notamment l’alphabet, une écriture phonétique élaborée par les Phéniciens vers l’an 1100 av. J.-C. La renommée de
Byblos s’établit grâce au contrôle du commerce et à la diffusion du papyrus au Proche-Orient et en Méditerranée. Ce lien avec le commerce du papyrus eut une grande importance : la ville qui s’appelait alors Gebal fut aussi nommée
Byblos, nom que donnaient les Grecs au papyrus égyptien. Il existe un document très précieux illustrant les relations particulières qu’entretenaient Byblos et l’Égypte vers le XIe siècle av. J.-C. C’est un papyrus conservé dans une bibliothèque de Moscou (que les spécialistes ont intitulé Papyrus Pouchkine ou Papyrus de Moscou), les Mésa ventures d’Ounamom, relatant les péripéties d’Ounamon, un Égyptien envoyé en mission diplomatique et commerciale dans les villes phéniciennes du Levant.
Depuis que l’égyptologue britannique Alan Gardiner avait traduit le document dans les années 1930, les chercheurs se demandaient s’il s’agissait d’un texte historique racontant un voyage qui aurait réellement eu lieu, ou d’un roman, comme on tend désormais à le penser, ce qui par ailleurs n’enlève rien à l’intérêt de ce texte singulier décrivant avec brio la manière dont pouvait se passer une expédition commerciale il y a trois mille ans. D’après le papyrus, Ounamon était un prêtre de Karnak envoyé à
Byblos pour y accomplir une mission précise : acheter le bois destiné à la construction de la barque du dieu Amon. En route, il fit escale dans le port de Dor où son navire fut dévalisé. Il demanda à être indemnisé au prince de Dor, mais ce dernier refusa de reconnaître que le vol avait eu lieu sur un bateau étranger.
À son arrivée à
Byblos, Ounamon reçut un accueil si hostile qu’il dut attendre quasiment un mois sur la côte sans que ses requêtes n’aboutissent. Enfin, alors qu’il s’apprêtait à repartir, on l’avertit que le roi de
Byblos, Zakar- Baal, lui accordait une audience. « Il était assis dans la salle supérieure, raconte Ounamon, le dos appuyé contre la fenêtre, et les vagues de la grande mer de Syrie se brisaient derrière lui. » Le monarque le traita avec rudesse. Il commença par lui demander pourquoi il était venu, ce à quoi Ounamon répondit que sa mission, comme à l’accoutumée, était d’obtenir le tribut en bois destiné au pharaon. Irrité, Zakar-Baal répondit : « Je ne suis ni ton serviteur, ni celui de qui ^ t’a envoyé » et refusa de consigner le bois s’il n’était pas dûment payé. Ounamon dut envoyer un messager en Egypte pour se procurer les marchandises à échanger : or, argent, lin de belle qualité, 500 rouleaux de papyrus, 500 peaux de bœuf, 500 rouleaux de cordes, 30 mesures de poisson… Alors, le roi de
Byblos ordonna à 300 de ses hommes de couper les arbres demandés par l’envoyé égyptien. Après avoir passé presque un an à
Byblos, Ounamon put entreprendre le voyage de retour ; cependant, une tempête le fit échouer à Chypre où, après avoir manqué de mourir aux mains des habitants, il fut sauvé par la reine de l’île.
Le déclin de Byblos
Le récit s’arrête là mais il montre bien l’importante perte d’influence de l’Égypte au Proche-Orient au début du xi siècle av. J.-C. En effet, si les rois des villes phéniciennes remettaient autrefois leur tribut à la cour d’Égypte, le prêtre de Karnak dut supporter, dans sa quête de bois de cèdre, les exigences des anciens tributaires qui, comme le roi de
Byblos, se comportaient avec une morgue inimaginable auparavant, parce qu’ils s’appuyaient sur la puissance de leur flotte commerciale dotée de 50 navires de cabotage et de 20 autres de plus grande envergure.
Le déclin vint aussi pour
Byblos. Éclipsée par Tyr dès le début du I » millénaire av. J.-C., elle fut dominée, comme les autres villes phéniciennes, par l’Empire perse au vi siècle av. J.-C.
Byblos conserva une relative autonomie et se prévalut de sa puissance navale en tant qu’alliée du Grand Roi, mais l’époque où elle régnait sur les mers appartenait désormais au passé. De plus, conquise par Alexandre le Grand en 332 av. J.-C., la ville fut reconstruite sur un modèle hellénique et son passé phénicien enfoui au fil du temps sous les édifices des Romains, des musulmans et des croisés.